Les nuages masquaient presque totalement la lune qui brillait au dessus de la ville de New-York. L'heure était bien avancée et une pluie torrentielle s'abattait sur les rues quasi-désertes de la ville. Quelques personnes couraient ça et là s'abriter sous un porche, chez eux, ou dans un café non loin de là. De temps en temps, les feux d'une voiture venaient écarter le voile ténébreux que les réverbères peinaient à dissiper, révélant les formes endormies des autres véhicules stationnés de part et d'autre de la chaussée.
Parmi les rares passants, aucun ne remarqua la forme recroquevillée dans une ruelles sombre. Abrité de la pluie grâce aux murs rapprochés des deux bâtiments adjacents, un homme attendait dans l'ombre, le regard fixé sur un magasin en face.
Cela faisait plusieurs heures qu'il attendait, patient, l'heure de fermeture. Personne ne faisait attention à lui, tandis que lui observait les allés et venues des passants.
Jusqu'à ce que la pluie se mette à tomber.
Se collant contre l'un des murs pour éviter au maximum les gouttes d'eau, nombreuses et glaciales, Abel Darkmoore soupira. Pour les rares personnes qui croisaient son regard, et qui s'attardaient sur son accoutrement, l'homme n'était pas plus qu'une clochard. A vrai dire, il ne payait pas de mine, ainsi vêtu. Un long manteau enveloppait son corps, cachant les trois quarts de sa physionomie, tandis qu'une jean recouvrait ses jambes. Des New Rock, montantes jusqu'aux genoux, protégeaient ses pieds du froid qui régnait sur la ville. Ces vêtements, presque tous neufs, il les avait volés dans un magasins quelques jours plus tôt, déjouant le système d'alarme, outrepassant les portes mécanisées. Il s'était servi du mieux qu'il pouvait, car il disposait de très peu de temps avant la réactivation des alarmes. Bien qu'encore très faible, son don émergeait petit à petit, et bien qu'il avait encore beaucoup de mal à se contrôler, il pouvait déjà faire beaucoup de choses. Quand il y arrivait...

Abel leva ses mains, emmitouflées dans des gants eux aussi volés, et les observa, comme s'ils allaient lui fournir un semblant de réponse quant à sa situation actuelle.
Oh, il savait pourquoi il était dans cette situation. A vrai dire, c'est lui qui l'avait décidée. Il avait tout quitté, son travail, sa maison, ses collègues, pour vivre au jour le jour, mendiant ou volant de quoi survivre. Mais la découverte de son don avait grandement facilité les choses. A présent, il n'était plus au comble du désespoir. Il commençait même à apprécier sa nouvelle vie.
Passant une main dans sa longue chevelure aux mèches bouclées, l'homme se dit qu'un bon bain ne lui ferait pas de mal, et se promit de trouver un endroit pour en prendre un bientôt.
Un bruit le tira de ses pensées.
C'était le vendeur du magasin d'en face qui avait finit son service, et qui, à l'aide d'une clé, descendait le rideau électrique protégeant tous les gadgets électroniques qui se dessinaient derrière les vitrines, avant d'être englouties par les ténèbres au fur et à mesure que le rideau descendait inexorablement. S'assurant que tout était en règle, l'homme - un quadragénaire au crâne chauve et au ventre proéminent - monta dans sa voiture en sifflotant un air qui échappa à Abel, puis démarra et s'en fut.
Le jeune homme dissimulé dans la ruelle attendit quelques minutes pour voir si le patron du magasin ne revenait pas. Il devait être minuit passée, et les rues de ce quartier étaient désertes. A quelques rues, on entendait l'aboiement d'un chien et le bruit d'une télévision qui semblait diffuser un film d'action, rythmé par des coups de feu. De temps à autre, le son lointain et étouffé d'un véhicule venait perturber le "silence" relatif qui s'était installé sur le quartier. Tout autour, la pluie continuait à marteler le sol, émettant un millier de clapotis qui formaient un doux vacarme.
Recouvrant son visage d'une cagoule qui ne laissait entrevoir que ses yeux, Abel inspecta les deux côtés de la rue, et, satisfait de ne trouver personne, s'élança sous les trombes d'eau. En quelques foulées, il atteignit l'autre trottoir et observa le magasin, dont le rideau métallique baignait dans la clarté drue et blanche des réverbères. Il était temps de passer à l'action.
Lentement, il rassembla ses souvenirs et tenta de se remémorer la façon dont il s'y était pris les fois précédentes pour faire agir son pouvoir.

Quelques minutes passèrent et, ne sentant toujours rien, il commença à paniquer. S'il se faisait attraper devant ce magasin, quelle explication donnerait-il ? Il n'avait pas de papiers d'identités, et se ferait sûrement mettre en garde à vue. Et il ne voulait pas ça.
La peur monta peu à peu en lui, s'insinuant dans son esprit. La prudence lui donna l'ordre de rebrousser chemin, de retourner parmi les ombres, anonyme et invisible, mais l'entêtement s'y opposa et il en fut récompensé quand il sentit quelque chose se libérer. Avec un soupir de soulagement, il sut qu'il avait réussi à concentrer son pouvoir, et il le dirigea vers le volet électrique. L'impulsion mentale s'extirpa du cerveau, et, se transformant en flux d'électrons, chercha son chemin parmi le réseau de fils qui composaient le rideau électrique.
Abel dut attendre quelques secondes, trempé jusqu'à l'os, que son pouvoir fasse effet. Un léger bruit annonça l'activation du moteur qui ordonnait l'ouverture, et quand la protection de métal fut suffisamment haute, le jeune homme s'allongea de façon à se glisser sous l'étroite ouverture. Il ne voulait pas attirer l'attention en ouvrant le rideau métallique en grand, et le petit espace était suffisant pour qu'il s'y faufile sans soucis. Quand il fut derrière, il se releva, et envoya un autre ordre mental afin que la devanture du magasin redevienne telle que le vendeur l'avait laissée. Fort heureusement, la porte était ouverte, et il entra.
Abel laissa ses yeux s'habituer petit à petit à la pénombre qui régnait à l'intérieur, et en quelques secondes, là où il n'y avait que ténèbres, commençaient à se dessiner les formes indistinctes d'objets.
Abel sortit une lampe torche de sa poche, et entreprit de se déplacer à pas de loup entre les rayonnages. Il avait besoin d'un ordinateur portable, ainsi que d'un téléphone.
Après quelques secondes de recherche, il dénicha un sac à dos aux sangles ajustables, et possédant une multitude de poches de diverses tailles.
D'autres recherches lui permirent de dénicher un netbook qui, loin d'être volumineux, serait à même de satisfaire toutes ses attentes. Le jeune homme le fourra dans son sac à dos, ainsi que son chargeur, avant de continuer ses recherches.
Recherches qui s'avérèrent fructueuses. Il trouva le rayon concernant les téléphones, et le fouilla afin de dénicher un téléphone portable. Il opta pour un modèle tout simple, voulant miser sur l'efficacité plutôt que sur l'extravagant. Récupérant aussi le chargeur, il les rangea à côté du netbook.

Un bruit à l'extérieur attira son attention, et entre les barreaux du rideau métallique, il entrevit le gyrophare d'une voiture de police. Instinctivement, il se baissa, son cœur battant la chamade. Lentement, précautionneusement, il se dirigea en silence vers l'arrière boutique, tandis que des voix se faisaient entendre à l'extérieur.
Transpirant à cause de la peur, il chercha désespérément un moyen de s'enfuir. Le magasin possédait une sortie de secours et le jeune homme s'y dirigea.
La porte était d'ouverture facile. Il suffisait d'appuyer sur une barre horizontale pour actionner le mécanisme d'ouverture. Néanmoins, la porte n'était pas pour autant fragile. De l'extérieur, impossible de la violer.
Abel attendit quelques secondes, afin d'être sûr que les flics étaient partis, puis poussa la porte. Il se retrouva dans une ruelle à l'arrière de la boutique. La pluie avait faibli, et seules de fines gouttelettes tombaient à présent. Prenant la direction de la ruelle qu'il avait quitté quelques minutes plus tôt, il s'y engagea et seulement là, il retira sa cagoule, appréciant la caresse du vent sur sa peau nue.
Il avait tout ce qu'il était venu chercher.
Abel Darkmoore retourna parmi les ombres...

J'étais profondément stupide. Oui, stupide était le mot. Non seulement je sortais en pleine nuit dans les rues gorgées de criminels et tueurs en série de New York mais en plus j'y allais, sous la pluie, sans prendre la peine de me munir d'un parapluie et uniquement vêtue d'une veste, sans capuche, bien entendu. Mes cheveux trempés, et frisés à souhait, dégoulinait de l'eau de pluie qui ne cessait de tomber en cascade sur moi.

Je marchais depuis environ vingt minute lorsque je tournais au coin d'une rue, pour m'engager dans une ruelle inconnue. J'étais déjà perdue, ça n'avait donc pas grande importance. Je connaissait Murphy, et je savais bien que quand il avait décidé de s'attaquer à moi, il ne me lâchait pas, aussi me soumettais-je à sa volonté, et décidais-je de errer jusqu'au bout.

Je me retrouvais dans une ruelle qu'on pouvait qualifier d'inquiétante. Totalement déserte, avec pour seuls bruit de fond la circulation et le clapotis de la pluie sur le goudron de la route. Enfin, pas totalement déserte en fait. Un homme à l'allure étrange à la fois mystérieuse, inquiétante et suspecte, se tenait à quelques mètres devant moi. Il tenait une cagoule à la main et restait immobile à l'abri, qui ne protégeait pas tant que ça, de deux murs.

A son allure désunie et un peu sale, je jugeais qu'il ne devait pas avoir de domicile fixe. Sans doute un SDF, une victime de plus de la société.

Prise d'un élan de sympathie personnelle, et parce que j'aurais aimé qu'on en fasse de même si je m'étais trouvé dans une telle situation, je retirais ma veste, m'approchais de l'inconnu et brandissais le vêtement au dessus de lui pour le protéger de l'averse.

Je lui adressais mon sourire habituelle et casi-constant en maintenant les bras tendus pour ne pas le laisser être trempé :

"Vous allez tomber malade si vous restez comme ça sous la pluie!" lui dis-je en me disant que je n'était pas vraiment bien placée pour parler, puisque, ayant enlevé ma veste, je me retrouvais en tee-shirt et jean sous la pluie. Mais bon : faites ce que je dis, pas ce que je fait, comme on dit!

Le cœur battant d'une telle force qu'il croyait que sa poitrine allait exploser, Abel était revenu dans la relative sécurité qu'offrait la ruelle sombre. Son sac contenant le butin sur son dos, tenant toujours la cagoule à la main, il était debout, récupérant son souffle, calmant peu à peu son corps encore en proie à l'adrénaline. Tout s'était bien passé, mais ça aurait pu tourner au drame si les policiers l'avaient surpris devant le magasin, ainsi vêtu, les cheveux trempés et la mine renfrognée. Tout autour de lui, la pluie continuait son inexorable chute, et bien qu'elle s'était un peu calmée depuis quelques minutes, elle n'en était pas moins présente, et glaciale. Mais il n'en avait cure. Son plan avait bien fonctionné. Il était toujours libre, mais avec un ordinateur portable dans son sac, ainsi qu'un téléphone. Même le sac était neuf...
Souriant, il s'adossa contre le mur qui se situait contre le vent, de manière à recevoir le moins de gouttes possibles, et sourit. La prochaine fois, il devra cambrioler un supermarché, de manière à se procurer quelques provisions, maintenant qu'il avait de quoi les transporter. Le vent se mit à souffler, faisant claquer son manteau. En dessous, il portait un pull, par dessus un t-shirt. Cela était suffisant pour conserver la chaleur de son corps, et il n'avait pas besoin de plus. De son bras valide, il ramena le manteau noir autour de lui, l'empêchant de voleter et ainsi disperser le peu de chaleur que le corps produisait.
Quelques minutes passèrent avant que son souffle ne s'apaise, et que son rythme cardiaque décélère. La nuit n'avait pas plus avancé, quelques minutes s'écoulant entre le moment où il avait décidé de pénétrer dans le magasin, et celui où il en était ressorti, haletant mais triomphant. D'ailleurs, à la sortie, il ne vit ni les flics, ni leur voiture. Tant mieux.
Abel Darkmoore s'apprêtait à repartir quand il entendit un bruit différent. C'était le bruit que produisaient des semelles au contact de l'eau, si différent du bruit naturel de la pluie. Le jeune homme se figea, s'attendant à se retrouver nez à nez avec l'un des gardiens de l'ordre. Au lieu de ça, apparut devant lui une jeune fille qui devait avoir un peu plus qu'une quinzaine d'années. De longs cheveux noirs, trempés et frisés, encadraient un visage de grande beauté, pour ce qu'il en voyait à la lueur des réverbères.
Elle semblait l'avoir remarqué. Portant une veste d'une couleur incertaine à cause de la faible luminosité - il aurait dit gris mais n'était pas sûr - elle s'approcha de lui. Tout en avançant, elle afficha un magnifique sourire et tout en se délestant de sa veste, lui dit:

"Vous allez tomber malade si vous restez comme ça sous la pluie!"

Accompagnement la parole au geste, elle brandit le vêtement de façon à le place au-dessus de la tête du jeune homme, le protégeant des éléments. Se faisant, elle dévoila un haut noir moulant, ainsi qu'un jean de couleur bleue. Les deux vêtements cachaient les courbes avantageuses de la jeune fille, tandis que des Converse, chaussures très à la mode chez les jeunes, chaussaient ses pieds.

Que faisait une aussi jolie jeune femme au milieu de la nuit, et dans une rue déserte ?

Levant le bras, Abel prit le poignet de la jeune femme et le baissa doucement, avant de rétorquer:

"Je crois que vous en avez plus besoin que moi."

En quelques minutes, la pluie avait trempé le haut de la jeune fille, et sans la veste pour la protéger, c'est elle qui prendrait bientôt froid. Réalisant soudainement qu'il tenait encore la cagoule à la main, il s'empressa de la ranger dans une énième poche intérieure de son manteau.
Abel ne savait pas quelle impression il devait donner à la jeune fille, dont les vêtements, bien que trempés à présent, étaient soignés. Elle devait sûrement le prendre pour un clochard, ainsi habillé. Mais en même temps, c'est un peu ce qu'il était, un SDF... Au moins ses vêtements le tenaient au chaud, et c'était là le plus important.
Un long manteau noir, un pull de la même couleur, un t-shirt blanc, un jean bleu et des New Rock noires également. Ainsi accoutré, en plus des longs cheveux bouclés qui lui tombaient sous les épaules, et la barbe de quelques jours qui lui mangeait le visage, elle ne devait pas se faire d'illusions quant à son statut social.
De la main, il écarta un mèche dégoulinant d'eau qui se collait à son visage, dégageant son front. Il n'était pas à l'aise pour discuter avec les gens, aussi il resta plusieurs minutes silencieux, ne sachant quoi dire pour relancer la discussion. La jeune femme était venue dans un esprit amical et il ne savait quoi faire pour la remercier.

Plongeant son regard dans le sien, il lui demanda, car il ne trouva rien de mieux à dire:

"Que fait une jolie jeune fille comme toi en pleine nuit, dans un rue déserte qui plus est ?"

Il était quand même minuit passé, et une jeune fille qui se baladait seule, sous la pluie qui plus est, cela paraissait... bizarre.
Au loin, la lune perça le voile nuageux, inondant les lieux de sa clarté blafarde. Le paysage semblait fantomatique, les ombres projetées à la fois par les réverbères et l'astre de la nuit créant une sorte d'ambiance glauque. Quelques secondes plus tard, le ciel se dégagea en partie, et la pluie cessa de tomber, tandis qu'une vent assez fort commençait à souffler, portant les nuages au loin. Dans le ciel d'un noir d'encre, se laissaient entrevoir à présent les constellations, la grande ourse et la petite ourse en cette période de l'année, séparées par la longue queue de la constellation du dragon. Plus loin, Cassiopée dessinait un W géant dans le ciel. De l'autre côté, Orion et sa ceinture composée de trois étoiles sillonnaient le vide galactique, tandis que plus loin, Sirius, de la constellation du chien, brillait d'un éclat incomparable.
Abel avait toujours aimé observer le ciel. Il y avait tant à découvrir au-delà ce l'atmosphère de la planète bleue, tant de mondes inexplorés, tant de secrets à mettre à jour. Dire qu'on ne connaissait que 4% de l'univers visible...
Inconsciemment, il avait levé les yeux vers le ciel, se perdant dans la contemplation de la lumière d'astres qui n'étaient peut-être plus, tellement ils sont loin et dont la lumière prend tellement de temps à atteindre les pupilles des rêveurs comme lui, qu'entre-temps l'astre en lui-même n'était plus, écroulé sous ses propres réactions chimiques.
Il baissa les yeux vers la jeune fille, dont le visage était aussi agréable à regarder que l'était le firmament, et ajouta d'une voix neutre, le visage impassible:

"Je crois que le grain est passé, mais merci de votre sollicitude. Je m'appele Abel."

Je regardais l'inconnu me dévisager. Un instant, j'avais lu de la peur sur son visage, puis lorsqu'il avait aperçu le mien, son expression laissa place à de la stupéfaction. Il attrapa mon poignet droit et je sentis le contact glacé de ses doigt trempés sur ma peau.

"Je crois que vous en avez plus besoin que moi." déclara t-il en me détaillant des pieds à la tête.

Cet homme se trompait. Je n'avais jamais été une frileuse. A vrai dire, je ne me rappelais même pas de la dernière fois où j'étais tombée malade. J'avais simulé au lycée, comme tout le monde, pour sécher les cours, mais je n'avais plus attraper froid depuis si longtemps que je me demandais toujours si les gens n'exagéraient pas lorsqu'ils étaient malades.
Je souris à l'inconnu une nouvelle fois :

"Je n'en ai pas grande utilité, ne vous en faîtes pas." Je jetais ma veste sur mon épaule pour ne pas en être encombrer et répondais à la seconde question de l'inconnu :


"Que fait une jolie jeune fille comme toi en pleine nuit, dans un rue déserte qui plus est ?"

"Je me promène. Plus précisémment, je me promenais, je me suis perdue à un moment donné..."

Je suivais le regard de l'étrange personnage vers les nuages qui se dissipaient et les étoiles qui apparaissaient sur la toile céleste. Je brandissais mon appareil photo et bombardait le ciel, un sourire ravit au lèvre.

"Je crois que le grain est passé, mais merci de votre sollicitude. Je m'appele Abel."

je remarquais que le dénommé Abel me regardais à nouveau et m'adossais au mur auquel il était lui même appuyé, avant de tendre le coup vers lui :

"Moi c'est Katie, Katie Winter"

*Insouciante malchanceuse pour te servir!*

Ainsi, la jolie jeune femme se prénommait Katie Winter. Un joli prénom, pour un joli brin de fille. Abel haussa les épaules quand elle lui expliqua que sa veste ne lui était pas grandement utile, et un léger sourire se dessina sur son visage, car bien qu'inutile pour elle, elle avait pourtant fait l'effort de la prendre.

Katie prétendait se promener, où tout du moins jusqu'à maintenant elle le faisait. Elle se disait perdue. Abel poussa un soupir et des souvenirs affluèrent dans son esprit. Il se revoyait à son âge, faisant le mur pour aller profiter du silence de la nuit, loin des bruits du quotidien. Entre la son de la télé qu'il ne regardait jamais, faute de programmes intéressants, le téléphone, l'aspirateur, et autres, il en devenait presque fou. Alors, pendant que tout le monde dormait, il se glissait par la fenêtre de sa chambre pour se retrouver sur le toit de sa maison. Quand il faisait trop froid, il se contentait de rester assis, emmitouflé dans son manteau, à regarder les étoiles scintiller, à nommer dans sa tête les constellations présentes dans le ciel, à observer parfois les chats se bagarrer en poussant des miaulements stridents, jusqu'à ce que la fatigue l'assaille, l'obligeant à regrets à regagner ses couvertures. Quand le temps était plus clément, il s'en allait flâner dans les rues, restant prudent toutefois, ne voulant pas tomber sur une bande de voyous.
Au cours de ses escapades, il apprit à devenir le plus silencieux, de façon à ce qu'on ne détecte pas sa présence. Se fondre aux ombres devenait un jeu, ne pas se faire remarquer, un défi qu'il essayait de battre à chaque fois qu'il en avait l'occasion. Ainsi, ses parents n'eurent jamais vent de ses escapades nocturnes et ne s'inquiétèrent pas.
Alors que la plupart des jeunes de son âge faisaient le mur pour rejoindre leurs amis, aller dans des boites de nuit faire la fête jusqu'à "tôt le matin" ou rejoindre leur amourette, tandis que lui se contentait de déambuler dans les rues désertes de la ville, et se cacher dès qu'une personne entrait dans son champ de vision ou qu'une voiture débouchait, tous phares allumés.

Depuis qu'il avait tout abandonné, délaissant son travail, son foyer et ses contacts, Abel retrouvait les sensations qu'il éprouvait plus jeune. Tout ce qu'il faisait à 15 ans, il le refaisait en étant adulte. Se fondant dans les ombres, il était presque invisible aux yeux des autres, et cela n'en était que mieux. De toute façon, qui ferait attention à un homme donc l'accoutrement laissait à désirer. Parfois certaines personnes le regardaient d'un air curieux, changeant parfois de trottoir quand il marchait trop près d'eux. Mais il s'en fichait. Les chaines de la société s'étaient relâchées autour de lui et il demeurait quasiment libre, contrairement aux autres qui devaient se plier aux exigences de la vie quotidienne - métro, boulot, dodo.

Un bruit le ramena soudainement au présent. Katie arborait un sourire sur son joli visage, et à l'aide d'un appareil photo dirigé vers le ciel, prenait quelques clichés des constellations qui peuplaient à présent toute la voûte céleste. Le vent avait repoussé les nuages au loin, et les seuls vestiges de l'averse qui s'était abattue quelques minutes plus tôt sur le quartier étaient les énormes flaques d'eau qui parsemaient la route ça et là, tandis que des flots s'engouffraient dans les plaques d'égout disposées près des gouttières.
Une voiture s'engouffra dans la rue, éclaboussant les trottoirs de part et d'autre de la chaussée, illuminant le chemin de ses phares avant que le voile de ténèbres ne s'abatte à nouveau derrière elle, déchiré par endroits par la lumière des réverbères.
Katie semblait également apprécier à sa juste valeur la magnificence du firmament, le visage toujours étiré en un magnifique sourire, montrant qu'elle aimait donnait du coeur à l'ouvrage.
Pendant une seconde, il se demanda si elle ne travaillait pas en tant que photographe. Enfin bon, cela n'était pas important. Le flash illuminait la ruelle à intervalles réguliers, à mesure que la jeune fille prenait des clichés du ciel nocturne.
Elle brisa le silence après avoir pris un certains nombre de photos, s'adossant contre le mur, et se présentant. La ruelle replongea dans l'obscurité qu'était venu déranger le flash de l'appareil photo, tandis que le silence s'imposa à nouveau entre eux. Cette fois-ci, c'est Abel qui prit la parole:

"Enchanté, miss Katie Winter. Ce n'est néanmoins pas un endroit pour se promener à cette heure avancée de la nuit."

Ramenant ses cheveux en arrière afin de dégager son propre visage, le jeune homme songea qu'il serait temps de prendre un bon bain, bien que le dernier ne remontait pas à fort longtemps. Bien qu'il n'ai aucun domicile fixe, il ne manquait pas d'hygiène pour autant. Se raser aussi ne lui ferait pas de mal, car cela commençait à lui manger le visage. Et ça démangeait terriblement. Il se promit de le faire aussi tôt que possible.
Pour le moment, il ne savait que faire. Il avait trouvé tout ce qu'il était venu chercher, et devait donc partir, mettre le plus de distance possible entre ce magasin et sa personne. Mais cette jeune fille se disait perdue, alors peut-être pourrait-il l'aider à rentrer chez elle avant. Bien que de nature misanthrope, il ne pouvait pas l'abandonner ici en pleine nuit. Oh, bien evidemment, elle pourrait sûrement se débrouiller pour retrouver son chemin, il n'y avait aucun doute. Mais une personne était une proie plus facile que deux, alors autant s'assurer qu'elle rentre chez elle saine et sauve. Elle ne devait pas habiter très loin en plus...
En tout cas, il fallait bouger... Mais il ne savait comment lui proposer cela. Prenant son courage à deux mains, il finit par ouvrir la bouche, après quelques secondes d'hésitation qui parurent une éternité:

"Si vous êtes perdue... Peut-être puis-je vous aider à retrouver votre chemin. Je n'ai nulle part où aller, je vais là où me portent mes pas. Je n'ai de comptes à rendre à personne."

Abel espérait qu'elle accepte car bien que la solitude soit sa meilleure amie, parfois l'esprit avait besoin de compagnie, et même s'il ne lui parlait pas, sa seule présence satisferait son besoin de compagnie. Ajustant les sangles de son sac-à-dos, satisfait du poids de l'ordinateur dans son dos, il tendit le bras, et de sa main gantée de noir, désigna la rue principale, presque une invitation.

Il n'avait pas tort. Je passais mon temps libre à écrire des articles sur les dangers nocturnes à NYC, et je me, disons le crument, stupidement dans la 'gueule du loup' en errant sans but, sans escorte et sans teaser. J'avais beau avoir passé mon enfance comme une vrai casse-cou, je n'en restais pas moins une fille, et qui plus est une fille seule.

Je réalisais que cet homme aurait tout aussi bien pu être mal intentionné, tout trempé qu'il fut, et que la manière dont je l'avais accostée était totalement inconsciente. Mais j'avais eu de la chance pour une fois, disons simplement que Murphy, à défaut de me laisser tranquille, n'est en rien sadique et ne me confronte généralement pas au danger, mais plus souvent au ridicule, qui est un ennemi, certes, mais qui 'ne tue pas'.

J'observais le dénommé Abel s'immobiliser un instant, comme réfléchissant aux options qu'il envisageait. Je remarquais alors le sac qu'il maintenait sur son dos avec fermeté et protection. Comme si ce sac était tout ce qu'il posséderait au monde, sa seule richesse... Je me demandais ce qu'il pouvait contenir...

Abel avait bougé et me désignait la rue, m'invitant à le suivre :

"Si vous êtes perdue... Peut-être puis-je vous aider à retrouver votre chemin. Je n'ai nulle part où aller, je vais là où me portent mes pas. Je n'ai de comptes à rendre à personne."


J'envisageais tous les risques que pouvaient contenir cette invitation. SI cet homme était un tueur, un voleur, un violeur, un déséquilibré mental (si l'on admettait que les possibilités précédentes n'admettaient pas nécessairement cette dernière caractéristique, ce qui est, entre nous, discutable...)

ET puis je haussais les épaules, le corps conduisant la pensée, mon haussement d'épaules chassa les vagues inquiétudes que je venais d'élaborer. De toute façon, vu la ruelle dans laquelle je me trouvais, il n'était nullement plus dangereux d'y être accompagnée. C'était même plus rassurant, en tout cas, à partir du moment où je prenais comme certitude les bonnes intentions de ce Abel, ce que je fis, au moins pour ne pas devenir parano et surveiller sans cesse mes arrières.

J'acceptais donc la proposition :

"Volontiers, je suis heureuse d'être tombée sur vous." Je dirigeais vers lui mon sourire qui ne fanait jamais et me décollais du mur auquel j'étais adossé. Une voiture passa de nouveau dans la ruelle, aspergeant les trottoirs. Je fis un bon de côté pour éviter l'éclaboussure et me tournais vers Abel :

"Vous allez me trouver impolie, mais je suis une grande curieuse dans l'âme, qu'y a t-il dans votre sac ?"

*CURIOUS*

Voyant que Katie acceptait sa proposition, il décida d'ouvrir la marche en s'extirpant en premier de la ruelle sombre dans laquelle il se trouvaient. S'engageant sur le trottoir parsemé de flaques d'eau qui reflétaient le ciel étoilé, il commença à marcher sans vraiment savoir où aller. La jeune fille déboucha à son tour de la ruelle, et manqua se faire éclabousser par un autre véhicule qui s'engagea dans la rue, sous le regard blafard et monochrome des réverbères.
D'un bond, Katie se mit à l'abri des gerbes d'eau sale que projeta la voiture en roulant dans la flaque. Puis, comme si de rien n'était, elle se tourna vers Abel et lui demanda ce que contenait son sac.
Subitement, il se rendit compte qu'il l'étreignait avec plus de force qu'il ne le voulait. Les objets qu'il contenait étaient les seuls qu'il possédait, hormis ses vêtements. Et encore, tout ça n'était pas à lui, il les avait "empruntés". Haussant les épaules, il lui dit:

"Aucune importance, mais si vous voulez le savoir, il contient un ordinateur et un téléphone portable que j'ai volés, il y a de cela quelques minutes."

A quoi bon mentir ? Elle avait dit être une grande curieuse et inventer une histoire n'aurait fait qu'éveiller ses soupçons, et attiser sa curiosité. Autant lui dire tout de suite la vérité, il s'en fichait de toute manière. Comme ça, des deux côtés, tout le monde était satisfait. Passant les sangles du sac-à-dos par dessus ses épaules, il s'en équipa, réglant leur longueur afin que son transport soit le plus confortable possible. Il aura besoin de courir, sauter, grimper et ramper avec donc il fallait que le sac reste stable sur son dos, de manière à ce que son contenant ne soit pas endommagé.
Désignant du doigt le magasin qu'il avait "dévalisé" quelques minutes plus tôt, il dit à la jeune fille:

"D'ailleurs c'est dans ce magasin là que je les ai pris."

Le jeune homme ne savait pas ce qu'elle pensait de lui. Des voleurs qui avouaient leurs crimes de plein gré, d'une voix calme et sur le ton de la conversation, ça ne devait pas courir les rues. Façon de parler évidemment.
N'attendant pas la réponse de Katie, il commença à marcher dans la direction par laquelle la jeune fille était arrivée. Après tout, quel meilleur moyen de retrouver son chemin qu'en retournant sur ses pas ? De toute façon il fallait bien aller quelque part, et il ne savait pas où Katie habitait, alors cette direction ferait l'affaire. Ensuite, il devra se contenter de suivre ses indications - et la suivre tout court - quand ils se retrouveront dans un endroit qu'elle connaissait. Ensuite cela sera plus facile, car ils évolueront en terrain connu, en tout cas de la jeune fille.
Il se demandait où elle pouvait bien habiter. Etait-ce un petit studio tout simple pour étudiante ? Ou vivait-elle encore dans la demeure familiale ? D'ailleurs, quel âge avait-elle exactement ? Elle paraissait un peu trop jeune pour se balader dans la rue à une heure pareille.
Fort heureusement, ce quartier était relativement calme. C'était un quartier plutôt commerçant, mais tous les magasins ne restaient pas ouverts toute la nuit, hormis les sex-shops, mais ça c'est une autre histoire. Donc très peu de gens fréquentaient ces rues le soir venu, car il perdaient tout leur intérêt, qui résidait d'ailleurs dans les différentes boutiques qui en ornaient les trottoir. En dehors du magasin d'éléctronique, il y avait un magasin de vêtement qu'Abel avait songé visiter, un magasin de chaussures et d'autres boutiques qui avaient fermé leurs stores depuis de longues heures. Aux alentours il n'y avait personne à part Abel et la jeune fille.

"Où habitez-vous ?" Demanda Abel, de façon à avoir une idée précise de l'endroit où ils devaient aller.

Tout en attendant la réponse de son interlocutrice, il continua à avancer dans la même direction, jusqu'à atteindre un croisement. Gardant la majeure partie de son corps dissimulé derrière l'angle du mur, il inspecta les deux côtés de la nouvelle rue. A droite, un homme d'une soixantaine d'années promenait un petit chien à la fourrure noire et blanche. Ce n'était pas une de ces parodies d'animal qu'étaient les chihuahuas ou autres petits chiens très prisés par les starlettes hollywoodiennes, mais ceux qui avaient une prestance, une sorte de charisme naturel, et qui ne passaient pas leur temps à s'exciter et à japper à tout va. Celui-là était un fox terrier, à poil lisse semblait-il. Son maitre sifflotait un air gai tandis que son chien marquait son territoire. Aucun danger de ce côté.
A gauche, un couple, adossé contre un mur, échangeait de langoureux baisers, partiellement dissimulés par une zone d'ombre. Un peu plus loin, un homme faisait les cent pas, attendant quelqu'un ou quelque chose. Son crâne rasé luisait quand il passait sous un réverbère, et en dehors de ce détail, Abel ne prêta pas attention à lui. Il était tout à fait banal, veste sombre par dessus un t-shirt ou un pull blanc, ainsi qu'un jean de même couleur que la veste.
Là non plus, il n'y avait aucun danger potentiel, en excluant l'homme au crâne rasé qui pourrait constituer une quelconque menace. Le couple souhaitait juste un peu de paix, et ce n'est pas Abel Darkmoore qui allait la troubler. Et bien sûr, une voiture se faufilait de temps en temps entre les carcasses endormies des véhicules stationnés, se dirigeant vers une mystérieuse destination. Le couple et l'homme chauve semblaient être arrivés recemment, car ils semblaient indifférents quant à la pluie qui inondait les lieux quelques minutes plus tôt. Sûrement venaient-ils d'arriver...
Abel se retourna et vint à la rencontre de Katie, qui ne semblait pas avoir bougé depuis qu'il l'avait laissée afin d'aller inspecter la zone.

S'arrêtant à quelques mètres d'elle, il s'exclama:

"L'endroit est sûr, on peut y aller."

D'aucuns le qualifieraient de paranoïaque, d'autres d'homme très prudent, mais il savait qu'il fallait être constamment sur le qui-vive pour survivre dans les rues de New-York. Certaines ruelles pouvaient facilement se transformer en guet-apens, ou dans le pire des cas, en tombeau...
D'un pas leste, il se dirigea vers son but...

Il m'avait répondu cash et n'avait même pas essayé de me mentir. A son ton et à son air sérieux, je devinais qu'il ne mentais pas, et ne plaisantais pas non plus. Il avait réellement volé portable et ordinateur. Et il se trimbalait dans New York comme si de rien n'était. Peut-être cela m'aurait-il choqué quelque années plus tôt mais j'avais appris à reconsidérer mes valeurs. Parfois, l'histoire des gens, leurs dispositions ou leur situation émotive et financière nécessitait d'enfreindre des lois qui au fond, n'étaient faites que pour le confort des plus aisés et ne servaient pas les démunis. Le fait qu'il avouait son geste prouvait que pour lui agir ainsi n'était pas une honte, mais une nécessité, dont il ne se cachait pas. Il était sincère pas manipulateur. Même s'il n'allait pas avouer son crime à la police.
Je haussais donc les épaules :

"Ça ne pourra pas lui manquer, ce magasin n'a pas l'air d'être au bord de la faillite!" constatais-je en souriant à l'homme qui c'était proposé pour m'escorter jusqu'à chez moi.

Je répondais à sa question avec un temps de retard :

"Du côté de Central Park"

Mon 'ami' examinait les rues avant de me demander de l'y suivre, il avait une bonne carrure, et me faisait assez penser à un garde du corps. Je souriais à cette idée, il ne lui manquais que l'oreillette. Je ne me sentais pas le moins du monde inquiète à l'idée de traverser Central Park, ce qui se révélait être le chemin le plus court pour rentrer chez moi.

Je me tournais vers l'inconnu, et lui posais une question qui me trottais dans la tête malgré moi, depuis quelque minutes :

"Qu'est-ce qui vous motive ? Pour vivre ? Puisque vous n'avez personne ?'' demandais-je de manière totalement impolie, et indiscrète. J'en avais de ces question moi!

*Curious spirit*